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AVERTISSEMENT

Amis lecteurs
Je ne fais ce Blog que pour vous faire decouvrir les tresors du Judaisme
Aussi malgre le soin que j'apporte pour mettre le nom de l'auteur et la reference des illustrations sur tous ces textes , il se pourrait que ce soit insuffisant
Je prie donc les auteurs de me le faire savoir et le cas echeant j'enleverais immediatement tous leurs textes
Mon but etant de les faire connaitre uniquement pour la gloire de leurs Auteurs

Jacob et Esaü


                                 Réconciliation de Jacob et d'Esaü

« Si Dieu approuve votre conduite, même vos ennemis finiront pas se réconcilier avec vous ! » - Prov 16:7


Deux frères : Jacob et Esaü dans des traditions juives

un-echo-israel.net





Au cours d’une conversation téléphonique qui remonte à loin, le Professeur Yeshayahu Leibowitz
 s’évertuait à m’expliquer le motif de l’une de ses récentes déclarations où, s’inspirant de Voltaire, il
affirmait : “Le Dieu des juifs est Dieu. Le Dieu des chrétiens est juif. Il est né juif, Il a vécu juif, Il est mort juif.” Comme l’entretien se prolongeait, il m’invita à le poursuivre chez lui.
Sachant qu’il avait rédigé l’article ‘Jésus’dans l’Encyclopédie Hébraïque dont il était aussi l’éditeur, je me permis de lui rappeler que nous avions en commun la foi en un Dieu créateur et rémunérateur. Ce à quoi il répondit : “Il n’en est rien ! Notre Dieu n’est pas un Dieu qui crée et rémunère mais un Dieu législateur. Il est Celui qui nous a donné la Tora en prescrivant les commandements. C’est pourquoi, le refus de la Tora par les chrétiens nous encourage à voir dans le christianisme une sorte d’antijudaïsme.” Avant d’en prendre congé, je ne pus m’empêcher de lui avouer : “Jusqu’à présent, je pensais que les juifs et les chrétiens pouvaient tout de même se réclamer d’un patrimoine commun, mais à t’entendre parler, il semblerait au contraire qu’un abîme nous sépare.” Peu porté à dorer la pilule, il se contenta d’ajouter : “C’est la pure vérité !”

Cet échange de vues m’est revenu à la mémoire en lisant son commentaire magistral de la Parashat hashavoua , autrement dit, des chapitres de la Tora qui sont lus à la synagogue au cours du Shabbat. Ses propos sur les écrits traditionnels concernant les rapports ambigus de Jacob et d’Esaü - qui préfigurent ceux d’Israël et des nations - jettent une lumière singulière sur ce qui m’avait rendu perplexe au cours de notre rencontre. Ils sont partiellement reproduits ci-dessous. Le conflit des deux frères aide à comprendre l’espace vide qui semble persister entre la  Première et la Nouvelle Alliance. Ce manque apparent, intrigant pour plus d’un, fut exprimé on ne peut mieux par Disraeli qui, issu d’une famille juive italienne, avait été reçu à treize ans dans l’Eglise anglicane. Comme la reine Victoria demandait à son premier ministre : “Finalement, quelle est votre religion ?” il répondit : “Entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, il y a une page blanche. Je suis cette page !”

Jacob et Esaü

L’antagonisme ressenti par les enfants d’Isaac remontait au temps où ils étaient dans le sein de leur mère et persista tout au long de leur existence. Leur rivalité est devenue, dans la conscience juive, le symbole du conflit permanent qui oppose Israël à ce qui n’est pas lui si bien que les péripéties vécues par ces deux figures bibliques ont souvent été interprétées à la lumière d’une situation ultérieure où Israël a dû faire face aux nations. Cette mémoire séculaire a entretenu une tension trans-historique qui, avec le temps, a pris les proportions d’un conflit cosmique.

Jacob marche devant Dieu

Au moment de la naissance des jumeaux Jacob et Esaü, le premier naquit en tenant la main agrippée au talon (Héb. : Eqèv) de son frère d’où son nom Yaaqov, ce qui suggère une prédisposition à la priorité qui sera donnée au puîné et non pas à l’autre. Plus tard, le stratagème qui lui conféra le droit d’aînesse (Héb. : Bekhora) fut suivi de la tromperie qui lui valut la bénédiction (Héb. : Berakha). Aussi, les commentateurs ne se sont-ils pas privés de souligner les roueries du père des douze tribus.
Si Abraham, reconnu de son vivant comme Prince de Dieu (Genèse 23.6), est considéré comme le père du Judaïsme, Jacob est devenu le père du peuple juif. Mais, à la différence d’Abraham dont on ne connaît que les éléments saillants de son existence et d’Isaac dont la personnalité reste élusive, les récits concernant Jacob nous rendent sa personnalité très accessible. Comme ses pères, Jacob “marche devant Dieu” mais ce cheminement est parsemé des épreuves communes à tout être humain fait de chair et de sang.
Il connaît tout ce qui informe un destin personnel et touche aux différents aspects de la condition humaine : les problèmes du couple et de l’éducation des enfants, les soucis d’un patrimoine, les dangers de la vie, la jalousie, la rivalité, l’angoisse, le deuil, l’échec sous toutes ses formes. Toutes ces situations, parsemées de rencontres fatidiques où les anges sont parfois présents, revêtent dans son cas une signification symbolique du fait de son rôle déterminant dans l’histoire du peuple élu.
L’histoire de Jacob nous révèle la courbe d’une existence dans toute son ampleur, avec ses hauts et ses bas, tant du point de vue matériel que spirituel, aussi a-t-on pu y voir la première biographie de la littérature universelle. Doué d’une personnalité fortement typée, Jacob sait, à l’occasion, se montrer obstiné. Déjà, dans l’attente de leur naissance, Rébecca constatait que les deux enfants “se heurtaient en son sein”. La personnalité de Jacob est complexe au point de paraître compliquée. Présenté dès le début du récit biblique comme “un homme intègre qui demeurait sous les tentes” (Genèse 25.27), il ne tarde pas à laisser paraître son côté madré. Si courageux qu’il soit, cet homme d’action craint son frère et n’hésite pas à ramper devant lui. I1 a pourtant conquis Sichem, une ville d’Amorites “par l’épée et par l’arc”, une expression qui, dans le Targum araméen, deviendra “suite à ma prière et à ma demande”.
Sur le tard, Jacob avouera à Pharaon : “Ce fut un temps bref et mauvais que les années de ma vie” (Genèse 47.9). Un midrash ira même jusqu’à faire dire à Dieu : “Je n’ai jamais fait un miracle pour lui”. Rien de ce qui arrive à Jacob, le droit d’aînesse, la bénédiction, l’épouse désirée, la richesse, les propriétés, etc... ne lui arrive directement mais au terme de manœuvres et de machinations subtiles. Dieu lui apparaît trois fois : tout d’abord, durant le songe de l’échelle, à Béthel, sur le chemin de l’exil, puis au retour de l’étranger et enfin, au moment de quitter la terre promise pour l’Egypte où il retrouvera, après vingt-deux ans de séparation, Joseph, le fils dont la perte apparente l’avait rendu inconsolable. Cette saga de l’enfant préféré est intentionnellement insérée entre deux moments dont il est dit tout d’abord : “Jacob s’installa au pays où son père avait émigré” (Genèse 37.1) puis ensuite : “Israël se fixa au pays d’Egypte” (Genèse 47.27).

Cette vie mouvementée est manifestement dominée par un changement de nom. Celui qu’il porte au début, Yaaqov, semble symboliser le côté troublant de sa vie. Plus tard un prophète admettra sans fard : “dans le sein maternel il a supplanté son frère” (Osée 12.4). Un siècle et demi après le fils de Beéri, l’un des prophètes de l’exil fit encore une allusion au père des douze tribus, sans toutefois préciser son nom : “Méfiez-vous d’un frère car tout frère ne pense qu’à supplanter.” [Héb : Aqov Yaaqov] (Jérémie 9.3). Cette homophonie rappelle que, dans l’esprit du prophète d’Anatot, les procédés de Jacob n’étaient pas des plus recommandables. Il fut pourtant appelé à recevoir le nom d’Israël qui évoque une sainteté capable d’informer la vie.

Jacob reçoit la Bénédiction

Les commentaires abondent au sujet du transfert de la bénédiction. Parmi ceux-ci, Yalkout Haréouvéni et Midrash Hanéélam n’hésitent pas à en faire une lecture des plus critiques dans l’esprit de rabbi Eliézer pour qui “le comportement de l’homme est une affaire de droiture.” Sachant qu’Esaü est devenu le symbole de l’empire romain, l’auteur du midrash tend à voir dans l’assujettissement d’Israël à Rome, une conséquence lointaine du fait que Jacob ait détourné le droit d’aînesse d’Esaü par tromperie. Des sages de l’école des Tannaïm [1er & 2eme s.] reprochent aussi à Jacob d’avoir accaparé la bénédiction de façon abusive, à la suite de quoi, Esaü “poussa un grand cri au comble de l’amertume” (Genèse 27.34). Comme les auteurs sacrés ont bonne mémoire, il n’est pas étonnant que la même expression revienne plus tard sur les lèvres de Mardochée qui “poussa un grand cri amer” au moment où le peuple juif se trouva menacé de destruction en Babylonie.

Dans son commentaire, Baal Hatourim précise que le nom d’Esaü et le mot Shalom ont la même valeur numérique : 376. Celui dont Isaac avait dit : “De ton épée tu vivras” (Genèse 27.40) porte donc un nom qui selon la guématrie est identifié au mot shalom. Cet auteur signale en outre la place centrale tenue par le mot shalom dans la Bénédiction des prêtres : “Que YHWH porte sur toi son regard et te donne le shalom !” (Nombres 6.26). La paix devant être souhaitée à tout être humain, cette bénédiction sacerdotale laisse entendre que le chemin de la paix offerte à Israël passe inévitablement par l’étape d’une réconciliation avec Esaü. En poursuivant la paix avec une inlassable patience, Israël est invité à se souvenir qu’il ne pourra l’atteindre tant que les familles de Jacob et d’Esaü resteront dans l’attente des retrouvailles.
Il est éclairant de comparer les différentes bénédictions octroyées par Isaac à ses fils. Tout d’abord, celle destinée à Esaü mais dont Jacob fut le bénéficiaire, puis celle qu’Esaü reçut de son père après avoir pleuré amèrement. Les points communs ne doivent pas occulter les dissimilitudes. Dans les deux cas, il est fait mention de “la rosée du ciel et des gras terroirs”. Mais à Jacob, Isaac souhaite : “Qu’Elohim te donne la rosée du ciel et les gras terroirs !” (Genèse 27.28) tandis qu’à Esaü, il se contente de dire : “Parmi les gras terroirs et sous la rosée qui tombe du ciel sera ton habitat !” (Genèse 27.39).

Etant donné que la mention du nom Elohim évoque l’idée de justice, la bénédiction de Jacob revêt une signification liée à cet attribut. Il reçoit certes une bénédiction enviable mais elle reste soumise au critère de justice. Autrement dit, Jacob doit être à la hauteur de ce qu’il a reçu. Par contre, la bénédiction d’Esaü est donnée sans condition, vu que le nom d’Elohim n’y figure pas. Même si cette forme de langage peut, à première vue, laisser entendre qu’Esaü reçoit un statut plus avantageux, il n’en est rien, tant s’en faut. Esaü est en effet dépourvu d’alliance, tandis que le peuple issu de Jacob peut, du fait de l’élection, compter sur Dieu qui lui a dit : “D’un amour éternel, je t’ai aimé” (Jérémie 31.3).
Selon cette interprétation, Esaü et par la suite Edom peuvent envisager la perspective de “gras terroirs et de la rosée qui tombe du ciel” mais certaines versions présentent cette déclaration sous un jour différent en ce sens que l’assurance donnée à Esaü aurait une signification non seulement distincte mais opposée à la promesse faite à Jacob. Suivant cette lecture, communément acceptée dans bien des milieux, il serait dit à Esaü : “Tu n’auras pas de gras terroirs ni la rosée du ciel !” Mais cette vue - pourtant adoptée par Buber et Rozensweig - n’est pas conforme à la façon dont la tradition juive envisage la bénédiction d’Esaü.
Rachi fait remarquer qu’Israël doit se montrer digne de ce qu’il reçoit à l’instar du Tsadiq qui, se sentant tenu de correspondre à la grâce d’Elohim, voit dans cette exigence son plus grand privilège. Au temps d’Osias, roi de Juda, un berger de Teqoa ne manqua pas de le rappeler aux descendants des patriarches : “Vous seuls, je vous ai connus entre toutes les familles de la terre. C’est pourquoi, je vous ferai rendre compte de toutes vos iniquités” (Amos 3.2). Evoquant cette invective, Rachi rappelle que la prérogative de Jacob et des siens s’accompagne d’une responsabilité en ce sens qu’ils ne peuvent jouir de la sollicitude divine sans contrepartie, tant il est vrai qu’en réponse à une élection sans repentance, Dieu attend davantage de ceux qu’il a choisi d’entre tous les autres.

Jacob rencontre Esaü

Au moment de la rencontre avec son frère, Jacob se sent désemparé, alors que dans la solitude du combat de la nuit précédente il s’est montré invincible. En effet, il semble douter maintenant que son ancien comportement vis-à-vis d’Esaü fût vraiment justifié. On y a vu l’expression d’une conscience qui l’empêche de combattre un frère auquel il a causé du tort, si bien que ce qui pourrait sembler une faiblesse dénote en fait un sens moral affiné qui l’aide à ne pas s’accommoder d’une erreur du passé.
En guise de préliminaires à la rencontre, Jacob fait parvenir une offrande à Esaü. Le mot ’présent’ [Héb : Minha] revient à cinq reprises au cours du récit. Après avoir demandé à son frère d’accepter son présent, Jacob lui dit : “Reçois ma bénédiction", comme si son subconscient le faisait revenir à résipiscence en repensant au moment où il avait acquis par ruse la bénédiction d’Isaac qui fut réduit à avouer : “Ton frère est venu en fraude et il a capté ta bénédiction” (Genèse 27.35).

Il est patent que selon le Peshat, autrement dit, le sens obvie du texte de la Tora, les défauts d’Esaü ne sont pas soulignés mais plutôt le tort qui lui est causé. Dans ce contexte, les sages reviennent volontiers sur le dicton : “Dieu protège le persécuté” (Qohélet 3.15). Ils rappellent avec insistance : “Dieu recherche le persécuté [i.e. cherche son bien]. Même si un juste se permet à l’occasion de poursuivre un mécréant Dieu protège toujours l’être en difficulté.
Vingt années ont pu s’écouler depuis l’affaire du droit d’aînesse et de la bénédiction, mais Jacob reste probablement plus affecté que son frère par ce souvenir amer car l’offensé tend habituellement à oublier une injure plus vite que l’offenseur. Son attitude au cours de la confrontation avec Esaü semble dénoter le désir de réformer sa conduite en délaissant ce qui était impliqué dans le nom de Jacob pour assumer ce qui est exprimé dans celui d’Israël. Aussi n’est-il pas fortuit que les récits du changement de nom et celui de la réconciliation avec Esaü soient tellement rapprochés l’un de l’autre.
En évoquant les deux noms de Jacob et d’Israël, l’écrivain Shaï Agnon notait que selon la guématrie, la valeur numérique de Jacob est : 182 et celle d’Israël : 541. La différence s’élevant à : 359 représente la valeur du mot ‘Satan’. Eu égard au fait que Jacob est le nom de faiblesse du père des douze tribus, tandis qu’Israël est celui de sa destinée, le simple rappel de ce qui les sépare est le meilleur moyen de refuser toute régression en s’attachant à un nom aussi prédestiné.

Source : Extrait de Sept années d’entretiens sur la ’Parashat Hashavoua ’ de Yeshayahu Leibowitz. Keter, Jérusalem. 2000. Trad. de l’hébreu, I.C.



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