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AVERTISSEMENT

Amis lecteurs
Je ne fais ce Blog que pour vous faire decouvrir les tresors du Judaisme
Aussi malgre le soin que j'apporte pour mettre le nom de l'auteur et la reference des illustrations sur tous ces textes , il se pourrait que ce soit insuffisant
Je prie donc les auteurs de me le faire savoir et le cas echeant j'enleverais immediatement tous leurs textes
Mon but etant de les faire connaitre uniquement pour la gloire de leurs Auteurs

Mordekhaï face à Aman:


                                Mordechai et Haman de Rembrandt 1633           


                                           Rav Aviner



"Et Mordekhaï ne se pliera pas et ne se prosternera pas" (Esther, III, 3): le Rouleau d'Esther nous relate le célèbre épisode au cours duquel Mordekhaï, qui se tenait quotidiennement à l'entrée du palais royal, refusait systématiquement de se prosterner au passage du cruel Aman, le Premier ministre de l'Empire perse.

Nos Sages s'interrogent sur la légitimité de la conduite somme toute assez téméraire de Mordekhaï face à Aman: comment, lui qui était considéré comme le premier leader de la communauté juive de Perse, pouvait-il mettre en danger la vie de ses coréligionnaires en adoptant, face au deuxième personnage du royaume, une attitude aussi arrogante, susceptible en tout cas d'exacerber la haine antisémite ?

L'un d'eux, Rabbi David Ben Zimra - dit "le Radbaz" - va jusqu'à se demander si cet entêtement de Mordekhaï n'est pas justement à l'origine du tragique décret d'extermination signé par Aman.
On peut comprendre que ce geste de soumission que constitue toute revérence à un "grand" du royaume ne soit pas des plus agréables, mais n'est-ce pas le rôle d'un responsable de savoir à certains moments précis plier l'échine afin de sauver des vies humaines ?

Il est vrai que selon nos Sages, Aman s'était lui-même "divinisé", ou tout au moins portait autour du cou un pendentif idolâtre ! Et certains commentateurs affirment que Mordekhaï refusait de se prosterner devant lui car il aurait alors commis un acte d'adoration idolâtre catégoriquement interdit par la Tora. Mais là encore, Mordekhaï aurait peut-être pu esquiver ce problème en choisissant un autre itinéraire ou un autre endroit pour siéger.
Or une lecture plus approfondie de la Meguila nous révèle que l'affrontement entre Mordekhaï et Aman n'était pas accidentel. En effet, toute la communauté juive locale savait que Mordekhaï agissait de la sorte, et les notables juifs avaient déjà, à plusieurs reprises, tenté de le raisonner et de le faire prendre conscience des dangers qui pesaient sur toute la communauté en raison de cette attittude. Mais rien n'y faisait ! Car chaque jour, Mordekhaï ne se prosternait pas devant Aman, dont la colère ne faisait que croître C'est pourquoi le verset cité en exergue utilise le futur - un temps qui pourrait de prime abord surprendre. Or les grammairiens expliquent qu'il s'agit là d'un futur fréquentatif qui a pour but de marquer une action répétée.
Nos Sages compliquent encore le problème en nous racontant qu'Aman avait tenté une approche plus bienveillante à l'égard de Mordekhaï en le saluant d'un presque cordial "shalom" ! Comme Mordekhaï ne répondait pas à cette étonnante marque de "courtoisie", Aman lui demanda alors si ce n'était pourtant pas l'usage chez les Juifs de se saluer de la sorte. Sans se laisser impressionner, Mordekhaï lui aurait alors répondu qu'il ne pouvait y avoir de paix - de "shalom" justement - pour les méchants. On imagine qu'Aman n'a pas dû apprécier le compliment !
Dans son ouvrage sur la Meguila d'Esther intitulé Or Hadash, le Maharal de Prague explique qu'il ne s'agissait pas là d'une incartade marginale, mais d'une question de principe: faut-il céder a la cruauté, ou bien convient-il au contraire d'adopter une attitude fière et résolue ?

Rabbi Shimon Bar Yohaï avait répondu à ce dilemme: devant la méchanceté, estime-t-il, il est même permis d'arborer une attitude provocante (voir Traité talmudique Berakhot, p. 7b). Cette réponse est évidemment très révélatrice de la personnalité même de Rabbi Shimon Bar Yohaï. On sait que ce fut un grand résistant contre l'occupation romaine. D'ailleurs, jugeant son attitude insupportable, les envahisseurs romains le condamnèrent à mort, et il fut contraint de se cacher. Selon le Midrash Esther Rabba (VIl, 9), c'est cette même thèse que Mordekhaï a faite sienne.

Face à Aman, Mordekhaï usait justement de cette force et de cette détermination. Or cela ne doit pas nous surprendre puisqu'il était lui-même un descendant de Benjamin, le seul des enfants de Jacob qui ne s'était pas prosterné devant Esaü lors de la fameuse rencontre entre les deux frères, lors du retour de Jacob en terre d'Israël, après son long exil chez son oncle Laban puisqu'il n'était pas encore né. Selon le Midrash, ceci est lié au fait que Benjamin est le seul des enfants de Jacob à être né en Israël, et n'a donc pas de mentalité de faiblesse.

Cette dimension - être intimement lié à Eretz Israël - est indispensable pour celui qui entend tenir tête à la cruauté ! S'il arrive que les contingences de l'exil exigent parfois que l'on doive s'humilier face aux étrangers et aux "gentils" qui nous gouvernaient, en Eretz Israël au contraire, un peuple libre doit adopter une politique libre !
Nos Sages sont revenus en détail sur la célèbre rencontre au cours de laquelle Jacob s'était prosterné devant Esaü: ils comprennent fort bien son attitude et vont même jusqu'à la justifier. Cependant, cette compréhension n'est pas départie d'une certaine critique comme il est écrit: "Puisque tu t'es prosterné huit fois devant Esaü, il y aura huit rois de la descendance d'Esaü qui régneront avant qu'il n y ait un roi pour Israël'. En effet, pour espérer voir s'édifier un royaume ou un Etat indépendant, il est nécessaire de posséder au départ un certain esprit de liberté et d'indépendance.
Dans son commentaire sur cette critique des Sages à l'égard de Jacob, Nahmanide voit là un précédent historique: n'est-ce pas en signant des traités de paix humiliants avec Rome à l'époque hasmonéenne que le peuple d'Israël a plus tard provoqué lui-même sa déchéance ?

Mordekhaï avait quant à lui compris qu'il ne fallait pas céder ! En reculant devant les premières pressions, on va de concession en concession, et de recul en recul. Par contre, si l'on reste ferme, il est évident que l'on paye un certain prix sur le moment, mais on évite un désastre dans l'avenir.
Mordekhaï connaissait parfaitement les personnages impliqués dans les intrigues du royaume: il savait par exemple que le roi de Perse, Assuérus, etait un homme cruel et sans scrupule. N'avait-il pas mis à mort sa femme Vashti à cause de son refus de se présenter de manière indécente devant ses hôtes ? N'avait-il pas exigé et contraint toutes les jeunes filles de son royaume à se présenter devant lui, avant de choisir celle qui finalement lui conviendrait ? Quant à la cruauté d'Aman, elle dépassait celle de son souverain ! C'est pourquoi Mordekhaï décida de s'opposer le plus fermement possible au tyran qu'il était.
Un roman raconte l'histoire d'un jeune Juif qui aurait assassiné Hitler bien avant que ne débute la Shoa. Ce geste est condamné dans ces termes par les notables de la communauté juive: "Mais enfin, cet Hitler n'a fait aucun mal aux Juifs ! Ce ne sont que des paroles de haine ! Et on ne tue pas quelqu'un pour des paroles !"

Mordekhaï comprenait qu'Aman désirait briser peu à peu l'esprit de fierté et d'indépendance que le peuple d'Israël avait maintenu même en exil.
Mais on objectera qu'il est évidemment toujours positif de conserver son esprit d'indépendance et de fierté nationale, encore faudrait-il être capable de résister à ses ennemis. Il arrive que l'on n'ait parfois pas d'autre choix ! Or dans notre cas, il s'avère que Mordekhaï était parfaitement conscient du potentiel et des qualités de son peuple, et son attitude était donc parfaitement fondée.

En fait, après qu'Aman fut confondu, Assuérus n'a pas aboli le décret d'extermination réclamé auparavant par son Premier ministre: il l'a seulement associé à un autre décret qui permettait aux Juifs de se défendre. Il s'avéra que le courage des Juifs eut raison de la cruauté des Perses: "Venahafokh hou" - il y eut un renversement de situation !
Une fois de plus fut vérifiée l'évidence que le peuple d'Israël n'est pas une nation faible et craintive, mais forte. Peut-être les Juifs se croyaient cependant moins courageux et puissants qu'ils ne l'étaient ? Peut-être avaient-ils une trop forte tendance à se dévaloriser aux yeux des autres peuples, et sans doute étaient-ils de facto tombés dans cet état de faiblesse générale et de renoncement Tout cela ne ferait que confirmer le vieux proverbe juif: "Celui qui se fait brebis, le loup le dévore".

Mais en fait, le peuple d'Israël était doté d'un courage hors du commun, et c'est ce courage profondément enraciné dans l'âme de la nation qui a justement surgi chez Mordekhaï au moment de combattre les forces du mal représentées par Aman. A partir de là, tout devient plus clair: ce n'est pas l'attitude "arrogante" de Mordekhaï qui a suscité le décret d'extermination, mais c'est bien au contraire la faiblesse de l'ensemble du peuple paralysé dans son état diasporique. Il convient même d'affirmer que c'est bien la témérité de Mordekhaï qui a sauvé les Juifs !

Ce point est particulièrement illustré par nos Sages: "Lorsque le décret parut, Mordekhaï sut ce qui s'était passé: 'Et Mordekhaï déchira ses vêtements' ..." (Esther, IV, 1). Bien sûr que Mordekhaï "savait" ! N'était-il pas apparament la cause profonde de ce développement ? Sur ce point, Rachi explique que Mordekhaï savait, de source divine, que tout cela se produisait parce que les Juifs s'étaient prosternés devant la statue de Nabuchodonozor, et qu'ils avaient plus tard joui du festin donné par Assuérus. Il est d'ailleurs possible que cette statue n'ait pas été une idole et que l'on ait pu trouver une excuse à leur comportement, mais il était assurément signe de couardise. De même, la participation des Juifs au festin d'Assuérus était une preuve manifeste de faiblesse et de soumission, et ce, même si, comme le précise la Meguila d'Esther, "la boisson était conforme [aux règles alimentaires] de la religion juive]" (Esther, 1, 8) et le repas était strictement cachère. Le problème venait surtout du fait que les Juifs étaient quasiment tous présents au festin, et qu'ils en avaient largement et publiquement profité, s'engageant ainsi insidieusement dans la voie d'une extermination.

Et c'est donc l'homme du courage, l'inébranlable Mordekhaï, qui a su réveiller les forces enfouies de son peuple en vue d'accélérer le salut de tous !
De nos jours également, ne sommes-nous pas appelés à prendre cette conduite comme exemple et à en tirer les enseignements les plus pertinents pour savoir faire face aux événements contemporains ?

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